Raconter en maternelle

Un article de Sylvie Cèbe pour qui apprendre à raconter favorise le développement précoce de compétences dans le domaine de la compréhension, la syntaxe et le vocabulaire.

Apprendre à raconter à l’école maternelle

Compréhension, mémorisation, expression sont autant de compétences que l’enfant travaille en racontant une histoire. Shutterstock
Sylvie Cèbe, Université Clermont Auvergne

L’école maternelle ne se donne pas pour objectif d’apprendre aux jeunes enfants à raconter des histoires. Cela peut sembler étonnant quand on sait qu’il s’agit d’une habileté valorisée, scolairement déterminante et socialement très marquée. Certes, les parents de milieu favorisé ne l’enseignent pas non plus, mais les « lectures partagées » qu’ils offrent régulièrement à leurs enfants contiennent les bons ingrédients.

Une littérature scientifique foisonnante révèle, en effet, que ces activités familiales autour d’un album jeunesse favorisent le développement de compétences précoces sur le plan de la compréhension, de la syntaxe et du vocabulaire.

Elles s’avèrent d’autant plus efficaces que les adultes centrent l’attention de l’enfant sur le sens de l’histoire, le lien que les illustrations entretiennent avec le texte, et le vocabulaire, de l’explication des mots à la découverte de nouvelles expressions.

En lisant une histoire avec leur enfant, les parents vont discuter avec lui des actions, des intentions et des émotions des personnages. Ils vont l’aider à s’interroger sur l’implicite du texte, en l’incitant à remplir les blancs laissés par l’auteur. Enfin, ils vont l’inciter à résumer ou à revenir sur des informations importantes. De quoi l’aider à s’approprier le récit et à mesurer les nuances comme l’ironie d’un texte.

À ce propos, il faut noter que le rapport au livre peut beaucoup varier selon les familles et le contexte social. Des études ont par exemple montré que, dans les familles de milieux populaires, le discours sur l’album est plus descriptif, la majorité des échanges portant sur la description des illustrations, des personnages et de leurs actions.

Selon la présence du livre dans leur quotidien, selon les pratiques instaurées par les familles, on comprend mieux pourquoi certains enfants ont déjà pris, avant leur entrée à l’école maternelle, une avance considérable sur le versant du développement du langage oral et écrit, tant en compréhension qu’en production.

Travail sur des albums de jeunesse

C’est pour donner à tous les jeunes enfants les mêmes possibilités de réussite, dès la maternelle, que nous avons conçu un nouveau manuel appelé, Narramus. Ce manuel s’adresse aux enseignant·es et a été conçu avec des enseignant·es.

Comprenant plusieurs opus, adaptés à l’âge et au niveau de développement langagier des enfants, la collection s’appuie sur des albums de littérature de jeunesse, qui circulent dans les écoles et les bibliothèques, comme Un peu perdu, pour les petits, La chasse au caribou, pour les moyennes sections, Les deniers de Compère lapin, pour les grands.

L’objectif est que tous les enfants soient, à la fin, capables de raconter seuls, à leurs camarades puis à leurs familles, les histoires étudiées en classe. En entier ? Dès la petite section ? Oui. Tout·es seul·es ? Oui, mais forts des connaissances qu’ils ont acquises grâce aux multiples activités cognitives, motrices et affectives des huit modules qui constituent nos scénarios didactiques – à dérouler sur un mois d’enseignement environ.

C’est pour mieux raconter que, dans chaque module, les enfants devront, mémoriser le vocabulaire, acquérir de nouvelles tournures syntaxiques, retenir les idées principales, comprendre l’implicite du récit, s’interroger sur les actions, les intentions et les pensées des personnages.

Tous les apprentissages s’organisent autour de ce projet, dans une approche « intégrative ».

Des cibles classiques

Pour soutenir l’enseignement des compétences permettant de comprendre les textes narratifs à l’école maternelle, la littérature scientifique récente propose en effet aux enseignants et aux chercheurs en éducation tout un ensemble de recommandations spécifiques, basées sur des preuves (« evidence based practices »).

Ces dernières font aujourd’hui l’objet d’un consensus international montrant que la compréhension d’un texte est le résultat d’une interaction entre plusieurs catégories d’habiletés :

  • la capacité à comprendre une série d’événements (compétences langagières narratives en réception)

  • la capacité à relater clairement les évènements (compétences langagières narratives en production)

  • la capacité à comprendre, mémoriser et utiliser les mots et les structures grammaticales du langage écrit (connaissances lexicales et syntaxiques)

  • la capacité à aller au-delà de ce que le texte dit explicitement (compétences langagières inférentielles)

Ce sont donc ces compétences qui constituent les quatre cibles de l’enseignement avec Narramus.

Rappel de l’histoire

Notre manuel enrichit les pratiques habituelles observées dans les classes en accordant un rôle central au rappel de l’histoire : c’est cette narration qui, pour les jeunes enfants, finalise la tâche d’écoute du texte lu par l’enseignant·e et lui donne un but « intégrateur ».

Cela les oblige, en effet, à « prendre ensemble » et à retenir toutes les idées du texte, à planifier leur discours, à soigner leur mise en mots (lexique et syntaxe). Cela leur permet aussi de centrer leur attention sur le lien qui unit compréhension et mémorisation et sur l’effort qu’il convient de faire pour ne pas oublier de relater des informations essentielles.


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Narramus innove aussi pour faire acquérir une des compétences attendues par l’école en fin de grande section : « comprendre un texte sans autre aide que le langage entendu ». Nous proposons, en effet, de ne jamais mettre sous les yeux des élèves le texte de l’épisode étudié et l’image.

Être privé·es de l’image, au moins pour un temps, contraint les enfants à traiter l’écrit entendu et nous les invitons systématiquement à essayer d’imaginer l’illustration qu’ils et elles verront juste après. Il faut voir leur fierté quand leur prévision est exacte et leur déception, voire leur colère, quand l’illustrateur ou l’illustratrice a choisi de ne pas tout à fait coller au texte.

Le numérique, parce qu’il offre de nombreux atouts pédagogiques, tient une place centrale dans Narramus : on peut ainsi présenter l’image dans un format qui permet à toute la classe de l’observer attentivement, afficher toutes les illustrations d’un épisode sur une même diapositive ou faire extraire sa structure, masquer des informations ou en ajouter, faire écouter l’histoire lue ou racontée, multiplier les activités pour faire étudier, mémoriser et réviser le vocabulaire…

Des activités originales

Interrogées sur les changements professionnels observés après avoir introduit Narramus dans leurs pratiques, les enseignant·es rapportent avoir introduit des activités et des tâches qu’ils proposaient rarement auparavant, ou qui ne faisaient pas partie de leur répertoire.

Ils et elles disent avoir alloué un temps beaucoup plus conséquent au travail de chaque album, intégré toutes les tâches visant à expliciter les implicites contenus dans les textes (comme les états mentaux des personnages) et multiplié les modalités d’apprentissage (lecture et narration du texte, illustrations, CD audio, dessin animé, théâtre, narration avec maquette).

Ils disent aussi avoir accordé une attention permanente à l’enseignement du lexique et porté un tout autre regard sur les compétences des élèves de milieux populaires (grâce à l’évaluation individuelle de leurs progrès) et sur les relations école-familles.

Interview sur les objectifs de Narramus (HEP Vaud).

Pour savoir si les pratiques d’enseignement proposées étaient efficaces, nous avons mené une étude pendant 3 ans auprès de 6 000 élèves, 250 professeur·es des écoles (exerçant en Réseau d’Éducation prioritaire) et 11 académies (Aix-Marseille, Bordeaux, Clermont-Ferrand, Corse, Grenoble, Guadeloupe, Lille, Lyon, Mayotte, Strasbourg, Versailles).

Nous avons constitué deux groupes : les enseignant·es du premier ont utilisé Narramus, ceux du second ont exercé comme ils·elles avaient l’habitude de le faire mais connaissaient la nature des évaluations que nous proposions à leurs élèves.

Les comparaisons statistiques sont toutes à l’avantage des élèves qui ont bénéficié de Narramus : ils comprennent mieux la langue écrite, apprennent plus de vocabulaire et développent de meilleures compétences narratives que leurs camarades de même milieu social.The Conversation

Sylvie Cèbe, Maîtresse de conférences en Sciences de l’Education, Université Clermont Auvergne

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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